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Un avenir bleu : du besoin d’un cadre pour unir les différentes optiques de l’économie bleue

Par: Ronnie Noonan-Birch

L’économie bleue est généralement considérée comme la version durable de l’économie océanique typique, car elle fait de la santé des océans un pilier essentiel.

Toutefois, elle est également critiquée pour son ambiguïté, car elle ne dispose pas de critères clairs pour déterminer quelles activités océaniques sont suffisamment « durables ». Cette imprécision pourrait conduire à un éco-blanchiment, ou « blanchiment bleu ». Tout comme « blanchiment vert », ces termes désignent des activités non durables qui se présentent comme durables.

Une économie bleue réussie doit être socialement équitable, écologiquement durable et économiquement viable. À l’heure actuelle, cependant, la manière dont cette vision est mise en œuvre dépend de l’angle sous lequel l’économie bleue est perçue.

Cela a été particulièrement flagrant lors des quatre conférences sur l’océan auxquelles j’ai participé au Canada et aux États-Unis au printemps et à l’été. Je portais deux casquettes. Tout d’abord, en tant que professionnelle de l’océan en début de carrière (ECOP) faisant des recherches sur l’économie bleue émergente, et ensuite, en tant que coordonnatrice régionale du programme Plein cap vers un avenir bleu de la Fondation SOI, une initiative qui engage les jeunes dans l’économie bleue durable du Canada.

Lors de ces conférences, j’ai remarqué que l’économie bleue était systématiquement perçue comme un concept susceptible d’apporter un avenir idéal, un avenir qui génère une richesse océanique durable. Toutefois, les priorités de l’économie bleue dépendaient chaque fois de l’objectif et du public des conférences.

Après avoir assisté à ces conférences, je crois que l’économie bleue du Canada a besoin de cinq éléments pour réussir.

1. L’économie bleue doit tenir compte des changements climatiques

Le lien entre l’océan et le climat était au centre de la conférence Ocean Frontier 2022 à Halifax. La conférence s’est ouverte sur une question importante : Comment l’économie bleue du Canada intégrera-t-elle nos plans actuels en matière de changement climatique ?

Nous savons que l’océan joue un rôle clé dans l’atteinte de nos objectifs de zéro émission nette. La capacité de l’océan à séquestrer le carbone est directement influencée par sa santé. Si des problèmes extrinsèques comme l’acidification, la perte de biodiversité et la surpêche ne sont pas réglés, nous perdrons le plus important puits de carbone de la planète.

Or, à l’heure actuelle, les contributions déterminées au niveau national (CDN) du Canada visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le cadre de l’Accord de Paris n’incluent pas l’océan. De plus, l’océan est également absent du projet de loi C-12, qui exige que le gouvernement fédéral fixe des objectifs nationaux de réduction des émissions de gaz à effet de serre et mette en place un processus de planification, de report et d’évaluation dans le but d’atteindre des émissions proches de zéro d’ici 2050. Cela suggère que le gouvernement canadien ne comprend peut-être pas l’importance vitale d’inclure l’océan dans la lutte contre le changement climatique.

Le manque de synergie entre l’économie bleue et la politique climatique du Canada pourrait être la raison pour laquelle le Canada n’a actuellement aucun objectif ni aucune mesure de réussite.

2. L’économie bleue a besoin des professionnels de l’océan en début de carrière

Lors de l’événement destiné aux jeunes professionnels en début de carrière de la Semaine mondiale de l’océan, qui s’est tenu à New York, je faisais partie des 35 ECOP qui ont discuté de la gouvernance des océans lors d’une séance animée par des représentants de la Division des affaires maritimes et du droit de la mer des Nations Unies.

La discussion s’est concentrée sur les compromis qui découlent de l’utilisation concurrentielle des océans, un aspect qui est au cœur de l’économie bleue. Elle a abordé des sujets tels que l’exploitation minière en eaux profondes, les aires marines protégées (AMP) et la pêche.

Ce que j’en retiens, c’est que lorsque l’on entame des conversations sur l’utilisation de l’océan et les compromis, il est important d’établir d’abord comment les parties concurrentes perçoivent l’océan. En commençant par cela, il est possible d’établir une compréhension entre les parties, de sorte qu’une conversation plus constructive puisse avoir lieu.

Lorsque nous avons discuté de la façon dont les diverses politiques internationales régissent les décisions relatives à l’utilisation de l’océan, nous avons constaté que les politiques n’en font pas assez ou n’évoluent pas à la vitesse nécessaire pour faire face aux problèmes de l’océan qui se multiplient à une cadence infernale. On dit constamment aux ECOP que le temps manque pour apporter les changements nécessaires, mais il semble impossible d’apporter ces changements dans le cadre des systèmes actuels, qui sont empotés et lents.

Il est important que les organisations de consommateurs soient représentées aux tables de décision sur la gouvernance des océans. Ce sont les ECOP d’aujourd’hui qui dirigeront l’économie bleue, et nous devons donc participer à sa création.

3. L’économie bleue doit intégrer la technologie de manière responsable.

Lors de la conférence Home to Overseas (H20) qui s’est tenue à Halifax, en Nouvelle-Écosse, l’accent était mis sur le secteur des technologies océaniques.

J’ai remarqué que le développement durable de l’économie bleue était mentionné, mais qu’il n’y avait aucun commentaire sur la manière dont ce développement serait mesuré ou sur les indicateurs utilisés.

Avec un public composé principalement de propriétaires d’entreprises, l’équité sociale dans l’économie bleue a été promue par des opportunités de surveillance à distance qui pourraient engager une main-d’œuvre plus diversifiée. On a également évoqué le cadre environnemental, social et de gouvernance (ESG) et discuté de solutions technologiques telles que la réduction des émissions de carbone et la production de protéines durables.

Bien que la technologie soit une composante nécessaire de l’économie bleue, elle ne fera que s’attaquer aux symptômes des pratiques non durables qui se sont développées dans l’économie océanique typique. Si nous nous appuyons trop sur des solutions technologiques sans aborder les problèmes systématiques inhérents, nous risquons de sacrifier la durabilité à long terme pour des gains à court terme.

4. L’économie bleue doit trouver un équilibre entre les priorités sociales, environnementales et économiques.

Lors de la quatrième conférence des scientifiques en début de carrière du CIEM PICES, qui s’est tenue à St. John’s (Terre-Neuve), une grande partie des travaux scientifiques présentés sur l’économie bleue étaient fortement axés sur l’environnement et portaient sur la gestion des pêches et des aires marines protégées.
J’y ai présenté mes recherches de maîtrise en cours dans le cadre d’une séance sur la science, la gestion et la politique pour une économie bleue durable et productive. Le thème de la conférence était les sciences océaniques pour l’avenir que nous voulons, en lien avec la Décennie des Nations Unies pour les sciences océaniques et le rôle des programmes ECOP dans ce contexte.

Bien qu’on ait mentionné l’économie bleue, on a donné peu d’explications sur ce à quoi ressemble le succès en dehors des priorités environnementales, et personne n’a précisé que l’économie bleue devait également être socialement équitable et économiquement viable.

Sans prendre ces trois piliers en compte dès le début de la nouvelle économie bleue, nous risquons d’amplifier les pratiques non durables et les inégalités existantes.

5. L’économie bleue a besoin d’un cadre centralisé

Avec toutes ces optiques concurrentes et ces différentes versions du succès, l’économie bleue a besoin d’un cadre qui unifie cette vision. Sans cette approche unifiée, il sera difficile d’obtenir des investissements privés, d’établir des fonds gouvernementaux, d’attirer l’innovation et d’obtenir l’adhésion des parties intéressées pour faire de l’économie bleue une réussite.

L’objectif de ma recherche de maîtrise est de créer un cadre qui définit la façon dont les acteurs de l’industrie peuvent réaliser une économie bleue socialement équitable, écologiquement durable et économiquement viable. Les mécanismes de mon cadre, qui sont ancrés dans les objectifs de développement durable des Nations Unies, aideront les décideurs à résoudre les conflits de valeur et les compromis dans l’utilisation des océans.

L’économie bleue est intrinsèquement interdisciplinaire et nécessite un large éventail de compétences qui vont bien au-delà du milieu universitaire traditionnel ou des sciences océaniques.

Et pour vous, à quoi ressemble une économie bleue réussie ? Faites-le moi savoir en m’écrivant au rnoonan@dal.ca.

Ronnie est coordinateur régional du programme Plein cap vers un avenir bleue de la Fondation SOI et cofondateur de la section canadienne du réseau mondial Early Career Ocean Professionals (ECOP). Après avoir obtenu son baccalauréat en biologie marine et travaillé dans le domaine de la conservation marine, Ronnie poursuit actuellement sa maîtrise en études environnementales à l’Université Dalhousie pour découvrir comment l’économie bleue peut être mieux utilisée au Canada.