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Expédition Plein cap vers un avenir bleu, du 29 juillet au 10 août — Récapitulatif complet

À quoi pourrait bien ressembler une économie océanique durable sur les plans environnemental, social et économique, et comment les jeunes peuvent-ils contribuer à la façonner? 

Telles sont les questions qui nous ont guidés tout au long des dix jours de l’expédition Plein cap vers un avenir bleu (PCVAB), de Happy Valley-Goose Bay à St. John’s, à Terre-Neuve-et-Labrador. 

En tant qu’initiative approuvée par la Décennie de l’océan des Nations Unies, le programme PCVAB de la Fondation SOI contribue à mettre en relation les jeunes avec des possibilités d’éducation, d’emploi et de financement afin de les inspirer et de les aider à développer des carrières fructueuses dans le domaine de l’économie bleue durable. 

L’expédition a emmené 47 participants dans des communautés côtières et autochtones isolées, des réserves écologiques, ainsi que des parcs nationaux et des sites historiques. L’équipe était composée de jeunes autochtones et non-autochtones de 17 à 30 ans, de militants, de scientifiques, de professionnels de l’industrie, d’éducateurs et d’employés de tout le Canada, ainsi que de quatre Américains. Voici quelques-uns des principaux enseignements tirés de l’expédition. 

L’importance d’une vision à deux yeux

Ken Paul, membre de la Première Nation Neqotkuk Wolastoqey, a proposé un cadre pour l’économie bleue durable fondé sur les quatre quadrants de la roue médicinale et sur le concept de la vision à deux yeux. 

Appelé Etuaptmumk en mi’kmaq, ce terme a été inventé par l’aîné Albert Marshall, sa défunte épouse Murdena Marshall et la professeure de biologie Cheryl Bartlett. Il s’agit de voir le monde en s’appuyant sur les forces des modes de connaissance autochtones et occidentaux, au bénéfice de tous. 

« De temps en temps, il y aura des conflits entre les deux systèmes de connaissances. C’est la résolution de ces conflits qui est importante », a déclaré Ken, dont l’expertise porte sur les droits de pêche et autres ressources océaniques protégés par les traités.

En fin de compte, le cadre proposé par Ken met en avant un équilibre entre les quatre piliers de la durabilité : la bonne gouvernance, la protection de l’environnement, l’équité sociale et la viabilité économique.

La science et la technologie sont des outils essentiels pour l’adaptation au climat

Le changement climatique ayant une incidence rapide sur l’océan, la technologie devient un outil essentiel pour aider les communautés à s’adapter et à comprendre les changements dans leur environnement. 

À St. John’s, nous avons visité SmartICE, une entreprise sociale qui associe la technologie au savoir traditionnel inuit afin d’améliorer la sécurité sur la glace pour les communautés du Nord. Cette visite nous a permis de comprendre comment le changement climatique a modifié les déplacements et la chasse sur la glace. Les bouées SmartBUOYS de SmartICE sont dotées de senseurs SmartQAMUTIQ, qui détectent l’épaisseur de la glace et d’autres informations. Les données peuvent ensuite être téléchargées sur le SIKU d’Arctic Eider, une application mobile et une plateforme web conçues par et pour les Inuits, qui sert d’outil pour la sécurité sur la glace, la préservation de la langue et la surveillance météorologique. 

Lors de la visite de la communauté Nunatsiavut de Rigolet deux jours plus tard, nous avons appris les effets de ces changements. Nous avons rencontré Jacqueline, ancienne participante de SOI, qui est également coordinatrice de la recherche inuite pour Sustainable Nunatsiavut Futures (SNF). SNF est un projet de l’Ocean Frontier Institute, codirigé par le gouvernement du Nunatsiavut, l’Université Dalhousie et l’Université Memorial, qui étudie les effets de l’évolution des conditions environnementales sur les communautés nordiques.

« Auparavant, les gens prédisaient quand la glace était sûre ou non selon le mois », explique Jacqueline. « Aujourd’hui, on ne peut plus se fier à ce que l’on savait, car tout change très vite. »

Jacqueline avait organisé un atelier de récolte de phoques. Le phoque est une source de nourriture qui permet aux habitants du Nord de se réchauffer. La peau du phoque est également utilisée à de nombreuses fins, notamment pour la confection de vêtements chauds tels que des pantalons, des mitaines et des parkas. 

Il est clair que l’océan, gelé ou non, fournit à cette communauté de nombreuses ressources pour sa subsistance.

La technologie peut également nous aider à comprendre l’océan et ses habitants. Par exemple, un véhicule sous-marin télécommandé (ROV) peut se rendre à des profondeurs plus grandes que l’humain, rester plus longtemps dans l’eau et donc collecter plus de données pour nous aider à comprendre les changements qui se produisent dans l’océan. La technologie des hydrophones sous-marins peut aider à surveiller la pollution sonore et son incidence sur les mammifères marins. 

Dans la réserve écologique de Witless Bay, nous avons appris que les chercheurs utilisent la technologie des traceurs pour comprendre le comportement et les mouvements des populations d’oiseaux qui nichent sur les quatre îles de la réserve. La réserve abrite la plus grande colonie de macareux moines d’Amérique du Nord, la deuxième plus grande colonie d’océanites culs-blancs au monde, ainsi que des milliers de mouettes tridactyles et de guillemots de Troïl.

« L’océan Atlantique est actuellement 7 % plus chaud que l’année dernière », explique Chris Mooney, interprète de la réserve. « Nous voyons apparaître ici des oiseaux qui ne devraient pas être là à cause du changement climatique. »

L’industrie a un rôle à jouer

Les industries océaniques sont très importantes pour le Canada. Elles contribuent actuellement au PIB à hauteur d’environ 32 milliards de dollars par an. Mais quels changements pouvons-nous mettre en œuvre pour réduire de manière significative leur empreinte carbone? 

C’est la question qu’a posée Sherry Scully, Ph D, en animant des activités et des discussions sur l’industrie du transport maritime commercial. Sherry est la principale rédactrice des modules d’apprentissage de Plein cap vers un avenir bleu de la Fondation SOI. Elle est aujourd’hui directrice du développement de la main-d’œuvre au PIER, le centre d’innovation, de planification et de stratégie du port d’Halifax. 

Nous avons discuté de l’incidence du secteur tel qu’il est aujourd’hui, de son rôle important dans la chaîne d’approvisionnement, des effets des tendances de consommation, des innovations visant à rendre le secteur moins nocif pour l’environnement et des risques auxquels l’industrie est confrontée. 

Le fait de réduire la consommation et de rendre de grands secteurs comme le transport maritime plus durables en opérant une transition vers des carburants renouvelables et en rendant les navires moins bruyants pourrait avoir un effet positif important, a-t-elle noté. 

Kendra MacDonald, directrice générale de la Supergrappe océanique du Canada, a également mis en lumière diverses possibilités d’innovation qui s’offrent au secteur de l’économie bleue durable. De la cartographie de l’océan à l’intelligence artificielle, en passant par le traitement des déchets de poisson, les acteurs de l’industrie font partie de la solution à de nombreux défis auxquels l’océan est confronté.  

Malheureusement, « l’un des défis de l’économie de l’océan est que la plupart des Canadien·nes ne la comprennent pas, n’y prêtent pas attention et ne saisissent pas les occasions et les risques qu’elle comporte », a-t-elle déclaré. 

Il existe de nombreuses voies vers des carrières durables dans l’économie bleue

Qu’il s’agisse de politique, de science, d’engagement communautaire, de médias et de communications, d’art ou de technologie, l’expédition nous a montré qu’il existe une myriade de façons pour les jeunes de s’engager dans l’économie bleue durable. 

« Il n’est même pas nécessaire d’être sur l’eau pour travailler sur l’océan et l’eau », a déclaré Sherry. 

Greg Ford, jeune participant et directeur des programmes aquatiques à Swim Drink Fish, a expliqué que c’est la pollution de son lac préféré qui l’a poussé à démarrer sa carrière dans la conservation de l’eau. 

« Pensez à l’eau et à la façon dont elle vous guidera dans votre carrière », a-t-il déclaré.

Le chemin qui mène à la carrière ou à la vocation de vos rêves n’est souvent pas linéaire. Il s’agit plutôt d’un zigzag de portes fermées et de mains tendues. En fait, de nombreux éducateurs et membres du personnel à bord n’ont pas commencé leur carrière dans l’industrie maritime, mais ils ont apporté à l’économie bleue durable une grande partie de leurs compétences et de leurs connaissances issues de différents secteurs.

Certains éducateurs sont passionnés et s’intéressent aux secteurs océaniques depuis le début, mais leur parcours professionnel n’a pas été linéaire. 

Neha Acharya-Patel, candidate au doctorat et cofondatrice du chapitre canadien du programme ECOP (Early Career Ocean Professionals) des Nations unies, marie sa passion pour la plongée, l’environnement et l’engagement des jeunes en tant que plongeuse commerciale.

Lisa Chen a décidé de lancer sa propre entreprise sociale, Oceanic Impact, afin de combler les lacunes qu’elle voyait entre la politique, l’océan et la conservation.

Parfois, des contrats de courte durée peuvent déboucher sur des carrières de toute une vie.

Le contrat de six mois de Jeff Anderson avec Parcs Canada s’est transformé en une carrière de 30 ans. Il était vice-président des opérations pour l’Ouest et le Nord du Canada lorsqu’il a pris sa retraite.

« Nous ne savons jamais ce qui peut se passer dans notre vie, ni comment elle évoluera », a-t-il déclaré. « Si vous rencontrez des obstacles, continuez à avancer. »

La diversité des parcours professionnels de notre équipe nous a donné beaucoup d’espoir pour l’avenir.

« Pour la première fois depuis longtemps, je suis enthousiaste quant à mon avenir », a déclaré Zsofi, jeune participante. 

De nombreux facteurs sont à prendre en compte dans le développement océanique et la conservation

Plus de trente ans après, de nombreuses communautés côtières de Terre-Neuve-et-Labrador vivent toujours dans l’ombre du moratoire sur la pêche à la morue. Cette politique a été mise en place pour aider à reconstituer les stocks de morue qui avaient été surexploités, mais elle a également entraîné le chômage d’environ 30 000 personnes. Les stocks de morue restent critiques aujourd’hui, et de nombreuses communautés ont dû trouver de nouvelles bases économiques pour subvenir à leurs besoins. 

À Battle Harbour, un processus de restauration et de requalification a permis l’émergence d’un secteur touristique. Le Fonds historique de Battle Harbour offre désormais des emplois saisonniers dans le secteur du tourisme aux habitants de la région. 

Francois, une belle communauté située à l’extrémité d’un petit fjord, tente également d’attirer les touristes. Malgré une population en déclin, la communauté continue de refuser les offres de relocalisation du gouvernement. 

D’autres industries qui n’étaient pas durables sur le plan environnemental ont également été remplacées au fil des siècles.

Red Bay était autrefois une plaque tournante pour les baleiniers basques qui vendaient de l’huile de baleine à l’Europe au 16e siècle. La population globale de baleines franches ayant fortement diminué, la chasse à la baleine n’est plus une option. La communauté a donc demandé et obtenu d’être classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Le site historique national s’appuie sur l’histoire de la chasse à la baleine pour attirer environ 12 000 touristes par an. 

« Red Bay est aujourd’hui entièrement tournée vers le tourisme », déclare le maire Wanita Stone.

Dans la réserve écologique de Witless Bay, la création de la réserve écologique en 1983 signifie que les membres des communautés voisines ne peuvent plus chasser sur les îles. Cependant, les colonies d’oiseaux sont devenues une attraction pour les touristes et ont permis l’émergence d’une nouvelle industrie dans les communautés environnantes. La ville de Witless Bay accueille désormais des visiteurs du monde entier désireux d’observer les oiseaux et les baleines de la région. 

À Stephenville, le maire Tom Rose a décrit la dichotomie de sa communauté. 

« Si vous ne vous développez pas, vous mourrez », a-t-il déclaré.

Stephenville fait partie du projet Nujio’qonik, un projet d’hydrogène vert de World Energy GH2 qui sera situé dans la région de Bay St. George. Le projet utilisera l’énergie éolienne pour produire de l’hydrogène vert et de l’ammoniac liquide qui pourront être utilisés comme carburant renouvelable pour les navires et à d’autres fins. 

De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans ce type de développement. Au cours de notre visite, les participants de l’expédition ont interrogé les représentants de l’entreprise et de la ville sur des sujets aussi variés que le logement des travailleurs et de la population locale, les effets environnementaux à court et à long terme, ou encore l’accès aux nouveaux emplois estimés pour la population locale et d’autres personnes. 

Tout en tenant compte de la durabilité et des facteurs d’équité sociale, nous avons également discuté de l’incidence que les grands projets pourraient avoir sur les communautés rurales qui ont besoin d’un coup de pouce économique. 

Pour le chef Mi’sel Joe de la Première Nation de Miawpukek, il est important de disposer des ressources nécessaires pour préserver la culture mi’kmaq et permettre aux membres de la communauté d’accéder à des moyens de subsistance décents.

Miawpukek est propriétaire du Polar Prince, le navire sur lequel nous avons navigué lors de l’expédition. Grâce à un partenariat avec Horizon Maritimes, le navire sert de plateforme pour des expéditions éducatives comme la nôtre et offre des possibilités de formation aux membres de Miawpukek qui souhaitent travailler sur un navire. 

D’une certaine manière, Miawpukek s’inspire de sa propre tradition de voyages maritimes. Sur le navire, nous avons regardé un film sur le voyage qu’a fait le chef Joe à Saint-Pierre-et-Miquelon avec d’autres membres de la nation, dans un canot traditionnel mi’kmaq en écorce de bouleau. 

« Nous sommes un peuple de la terre et un peuple de l’océan », a déclaré le chef Joe.

Greg Jeddore, conseiller de Miawpukek, nous a également renseignés sur les efforts de conservation marine de la nation. 

Notre visite à Conne River était particulière, car c’était la première fois que le navire se rendait dans sa communauté d’origine depuis que Miawpukek l’a acheté. Les membres de la communauté ont tour à tour visité le navire pendant que notre équipe d’expédition se renseignait sur la culture mi’kmaq à terre. 

Nous avons également assisté à la signature d’un accord socio-économique entre Miawpukek et Marathon Gold, qui possède le projet d’exploitation aurifère Valentine situé à proximité. Cet accord prévoit notamment l’accès à l’emploi et à d’autres débouchés économiques pour les membres et les entreprises de Miawpukek, l’éducation et la formation, la gestion et la surveillance de l’environnement, ainsi que l’investissement culturel.

Le chef Joe explique que cela fait mal de devoir signer un tel accord, car « une fois qu’on a creusé, ce n’est plus jamais comme avant ». 

Comprendre l’histoire, les cultures, les moyens de subsistance et les besoins économiques des communautés côtières nous a aidés à mieux contextualiser ce que signifie une véritable économie bleue durable.

Nous pouvons tous jouer un rôle

Lors de notre dernière soirée, nous avons offert nos réflexions et nos enseignements. 

« J’ai réalisé que j’avais beaucoup à donner », a déclaré Kaylee.

« Je pensais en savoir beaucoup sur l’économie bleue durable, mais j’ai appris que c’était bien plus que cela », a déclaré Kiersten.

La diversité de l’équipe d’expédition nous a permis d’apprendre les uns des autres et de nous unir autour d’une même vision, celle d’une économie bleue durable sur le plan social, économique et environnemental. Comme l’a dit Tara : « nous sommes tous liés à l’océan et aux masses d’eau ».